Auschwitz, Du berceau à la tomb[é]e du jour, tu fais tes premiers pas dans un monde où la saveur du sein matriciel et l'amertume du compotier calment ces pleurs de ne savoir pourquoi tu es là,
Berlin,Tu es apparu un berlingot de jour où l'aube disait à la neige de l'enfer qu'il faudrait qu'elle s'accroche pour tenter de refroidir le monde, car du jour où tu es né, la chaleur dans leurs yeux n'a fait que resserrer les liens d'un monde qui s'écroule,
Jéru-salem, Si tu avais pu voir leurs âme-ours salam'isés ce matin-là, de ces matins où la vie ne sourit qu'à l'angoisse de la survie, un de ces matins où le passé est devenu futur et où leurs bras ne suffisaient plus à se réchauffer,
In-dochine, Si tu avais pu sentir ce froid sur leurs dos chinés, celui de ne pas savoir si tu survivrais, si tu arriverais seulement, si tu serais à l'heur-eux ce que le malheur était aux autres.
Port-Saïd, Tu es né sur ce port-là où il n'y avait plus qu'eux, où la violence des têtes coupées, les luttes pour des territoires sans nom, la haine comme raison de vivre et le sang qui s'éparpillait sur ce monde, n'avaient plus d'importance,
Brazz-aville, Tu es né dans ces bras de l'autre avilissant, puisqu'ils n'étaient pas leurs. Tu es né dans cet autre qui n'était pas nôtre.
Port-au-prince, Tu es né dans cette lumière de l'ombre qui porte-au-prince le silence de cette étoile qui te sur-plombe,
Ka-boul, Tu es né dans une détonation d'armes qui t'a boul-eversé, dans une lueur de l'enfer que tu n'as pu oublier. Tu as percé son corps comme ils ont percé les leurs.
Ki-gali, Tu étais devenu LE monde, leur monde. N'avaient d'é-gal que l'oubli de la famine, du sang qui trahit et des corps qui tombent d'assoiffement,
Bag-dad, Tu souriais aux anges et aux dad-as surréalistes que personne ne voyait plus, passé six mois de vie. Tu avais dans tes yeux toute l'innocence de la création et la tendresse du pêché que tu ne connaîtrais pas.
Kosovo, Tu as commencé à marcher, à te lever, à te révolter contre l'esclavage de tes parents qui t'obligeaient à manger. Tu as voulu manger seul. Tu as voulu grandir.
Al-ger, Tu as prononcé son nom, tu as ger-minalisé ce calendrier républicain pour prendre ton indépendance.
Azerbaïdjan, Tu as prononcé ce deuxième mot. Tu as traité le monde de « petit con », avec tes larmes d'enfant et ta dérive d'adulte.
La havane, Tu as commencé à comprendre. Tu as commencé à avoir peur de ces avions et de ces au revoir qui blessent, de ce sang qui coule dans nos veines et que l'on fait sortir à coup de machettes de peur qu'il ne vive trop.
Ouganda, Tu as craché sur le monde qui t'angoisse maintenant. Tu as voulu de nouveau cette innocence des anges de l'enfance. Tu as appris à rêver, à espérer. Tu as oublié cette maladie humaine qui te fait vivre et qui les fait mourir.
Téhéran, Tu voudrais maintenant ne plus voir, te cacher derrière un drap noir pour te couper du monde, pour ne plus être sujette à leurs violences guerrières. Alors ça y est, tu es grande. Tu es femme. Tu appartiens à cette Oumma de mères noires qui donnent un peu de répit à la souffrance des autres. Demain, tu enfanteras dans la douleur et dans le sang. Demain, tu seras le pêché de l'Autre et tu offriras ton enfant en holo-causte.
Auschwitz.
27 Mars.
Portraits.
Mes yeux photographient l'invisible.
Mes yeux photographient leurs paupières lourdes qui se ferment au son des klaxons redondants et de la ferraille qu'on martèle.
Mes yeux photographient cette poussière qui s'engouffre dans leurs taxis et vient se poser sur le cuir crasseux de sueur et de lourdeur.
Mes yeux photographient ces regards échangés entre ces hommes dans le Vieux Caire et mes yeux instables qui ne savent plus où voir, qui ne savent plus où partager, où souffrir, où compatir.
Mes yeux photographient la misère de ces tonneaux qu'on roule, de ce shawar'ma rance et de cette viande cuite à la pollution.
Mes yeux photographient l'indicible.
Mes yeux photographient cet homme, jambes ouvertes sur son ventre dodu, qui mâche à la vitesse de ces yeux qui observent, lenteur déroutante, magique.
Mes yeux photographient cette vieille voilée qui réajuste ses yeux devant cette société d'hommes.
Mes yeux photographient ce vélo qui porte seul une centaine de petits pains en équilibre.
Mes yeux photographient ce chat à la course effrénée poursuivi par un chien, et qui se fait écraser, une fois, deux fois, trois fois jusqu'à ce qu'il ne soit plus.
Mes yeux photographient cet enfant qui nous jette des yeux noirs à la vision de mes colocs qui fument.
Mes yeux photographient ces « I love you », ces « Welcome to Cairo », ces millions de regards et de sourires « Inti, mudarisa, Hena ? Toi, professeur, ici ?... »
Mes yeux photographient ce que tu ne peux pas voir, ce que je ne peux pas te raconter, Inta, qui n'est pas là.
Mes yeux photographient cette police secrète ou touristique qui embarque nos amis parce qu'ils n'ont pas de « permis » de parler avec nous.
Mes yeux photographient ce ministre qui intervient en leur faveur et qui nous raconte à 2h du matin combien de points il a fait à la Playstation avant qu'on l'appelle.
Mes yeux photographient notre angoisse et notre impuissance momentanée contre cette police qui ne veut rien entendre.
Mes yeux photographient les yeux honteux de ce taxi que Sarah re-prend « la main dans son sac », et qui s'enfuit sous la colère de ma jolie brune.
Mes yeux photographient une course lente à l'arrêt de bus, perdues dans la fureur cairote, du sac qui pèse, du monde qu'on bouscule, des voitures qu'on évite.
Mes yeux photographient les toiles de ma mère, celles qu'elle ne pourra jamais peindre, parce que je ne peux que les raconter.
Mes yeux photographient ce regard écrit sur le Vieux Caire, sur le Caire branlant, vivant, touchant.
Mes yeux photographient ces femmes voilées que je dessine dans ces conférences à la française, dans ces fauteuils de velours qui contrastent avec les draps cafardés du Dahab Hôtel.
Mes yeux photographient mes yeux lourds qui se serrent, bercés par le bruit sourd de mon enfance haïtienne, trimballés de cascades d'émotion qui passent, en lotion karkadée qui efface.
OUTRE-CIEL
Outre ce Ciel, il y a notre Mer. Mer de feu, Mer de bleu.
Outre cette Mer, il y a tes yeux qui imaginent un Avenir. Avenir de perle, avenir frêle.
Outre cet Avenir, il y a ta Volonté. Volonté de violence, Volonté de carence.
Outre cette Volonté, il y a l'Ailleurs. Ailleurs émaillé, Ailleurs tiraillé.
Outre cet Ailleurs, il y a cette Terre. Terre d'exil, Terre du Nil.
Outre cette Terre, il y a cette Guerre. Guerre de Terre, Guerre de Mer.
Outre cette Guerre, il y a tes yeux qui se Brouillent. Brouille-ard du fard, Brouille-ard du Trop tard.
Outre cette dé-brouille, il y a ce Regret inapaisé. Regret prophété, Regret déchiqueté.
Outre ce Regret, il y a cet Espoir. Espoir injurié, Espoir éclairé.
Outre cet Espoir, il y a ce Ciel. Ciel noyé, Ciel alcoolisé.
Outre ce Ciel, il y a notre Mer. Outre-mer, Mer outrée.
biografia:
Etudiante en philosophie...